AEX
-1.3400
"Ceux-là, on dirait des cadavres". Au milieu d'une ferme de recherche de Virginie, dans l'est des Etats-Unis, Vasiliy Lakoba pointe du doigt des arbustes chétifs: des châtaigniers d'Amérique, une espèce décimée le siècle dernier par un champignon dévastateur.
"Le châtaignier d'Amérique avait une grande importance au sein des écosystèmes de l'est de l'Amérique du Nord, avant qu'il ne soit détruit par la maladie", explique le directeur de recherche pour l'American Chestnut Foundation (ACF), qui œuvre depuis les années 1980 à la résurrection de cette espèce.
Autrefois arbre emblématique de la côte est, le châtaignier d'Amérique était utilisé autant pour son bois que pour ses fruits, par les hommes comme par les animaux.
Mais un champignon identifié en 1904 au zoo du Bronx, à New York, sur un arbre venu du Japon, va rapidement se répandre et, en moins de trois décennies, signer l'arrêt de mort de millions de châtaigniers.
"La dévastation a été si rapide", raconte à l'AFP Vasiliy Lakoba, évoquant des "forêts fantômes".
Aujourd'hui, seuls quelques rares spécimens survivent encore jusqu'à l'âge adulte dans la nature.
- "Haut et droit" -
Nichée dans le massif des Appalaches, la ferme-laboratoire principale de l'ACF s'étend sur 36 hectares et compte des dizaines de milliers d'arbres.
"C'est comme ramasser des pommes, mais avec des épines...", rigole Jim Tolton, un technicien sur la ferme, lors d'une journée de récolte de châtaignes début octobre.
Les bogues sont prélevées à l'aide d'une grue, avant que ses fruits n'en soient extraits dans un hangar pour ensuite être étudiés, et utilisés pour de futurs plants.
Avant la maladie, le châtaignier d'Amérique "poussait haut et droit à travers la forêt, luttant pour la lumière", explique Vassiliy Lakoba.
Mais avec l'arrivée du fléau, un arbre voit des chancres apparaître sur ses branches: une ulcération nécrotique aussi appelée "cancer des arbres".
Il va alors combattre la maladie en faisant pousser ça et là d'autres branches, lui donnant un aspect touffu, au lieu de sa forme rectiligne de jadis.
Aucun remède n'a jusque-là été trouvé pour arrêter la propagation.
- Croisement et transgénique -
Conférer au châtaignier d'Amérique une résistance au champignon est précisément la mission de l'ACF.
Pour cela, deux voies principales de recherche sont explorées: la première, mise en place depuis des années, consiste à croiser un châtaignier d'Amérique avec d'autres espèces déjà résistantes au champignon, comme le châtaignier chinois.
Le but, après de multiples croisements au fil de plusieurs années, est d'obtenir un châtaignier d'Amérique également résistant, tout en conservant un maximum des caractéristiques génétiques d'origine.
"L'un des inconvénients" avec ces croisements, explique Vasiliy Lakoba, "c'est que la résistance à la maladie s'est avérée être un phénomène génétique bien plus complexe qu'imaginé auparavant".
Les chercheurs de l'ACF n'ont pas abandonné leurs efforts de croisement, mais une deuxième voie est explorée depuis quelques années: la modification génétique.
Travaillant sur une version transgénique du châtaignier d'Amérique, des chercheurs de l'université d'Etat de New York à Syracuse ont développé un spécimen qui montre "des résultats précoces très prometteurs" de résistance à la maladie, selon Vasiliy Lakoba, qui collabore avec ces chercheurs.
Associer les deux méthodes pourrait "produire de meilleurs résultats", indique-t-il.
- "Au moins deux siècles" -
Une fois un spécimen résistant développé, viendra le temps de la réimplantation à grande échelle. Une tâche rendue compliquée notamment par le bouleversement des paysages qui s'est fait sans le châtaignier d'Amérique au cours du siècle passé.
"Tant a changé en matière de climat, d'espèces invasives, de pollution, d'habitat, d'utilisation de la terre, d'érosion des sols", explique Vasiliy Lakoba.
"Ce n'est pas le même monde qu'il y a 100 ans."
Le chercheur dit s'attendre également à des "pressions continues" sur le châtaignier d'Amérique et d'autres espèces à l'avenir avec le changement climatique.
"Globalement, il y aura plus de parasites, plus de maladies (...) qui sont probablement déjà là mais qui n'ont pas encore explosé...", souligne-t-il.
Et la renaissance du châtaignier d'Amérique ne se fera pas dans les années, ni même les décennies à venir.
"Cela représente assurément une mission d'au moins deux siècles à l'avenir", dit le chercheur, qui se dit cependant très optimiste sur la réussite de leur mission.
"Ce n'est qu'une question de temps".
S.Weaver--TFWP