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Dans une petite ville du Kirghizstan, une femme gémit lorsque des soldats russes en uniforme bleu soulèvent un cercueil. Son fils a été tué en Ukraine en se battant pour la Russie.
"Maudite Ukraine", se lamente-t-elle, caressant doucement le tissu vert brodé d'inscriptions islamiques qui recouvre le cercueil.
"Tu as toujours voulu entrer dans l'armée russe et regarde ce qui est arrivé. Où vas-tu, loin de moi? Prends-moi avec toi!", crie-t-elle, alors que la procession s'éloigne de sa maison avec le corps de son fils.
L'enterrement de Rustam Zarifulin à Kara-Balta, à une heure de route de la capitale kirghiz, Bichkek, était le second de son genre cette semaine au Kirghizstan, pays pauvre d'Asie centrale (7 millions d'habitants) aligné sur Moscou.
Les échos de la guerre de la Russie en Ukraine se répercutent dans les régions les plus reculées de l'ex-Union soviétique.
Moscou, qui verrouille l'information sur le conflit, a donné vendredi le deuxième bilan officiel de ses pertes militaires (1.351 morts) depuis le début de l'invasion le 24 février.
Les estimations occidentales sont bien plus élevées. Un responsable de l'Otan a évoqué 7.000 à 15.000 soldats russes tués en un peu plus d'un mois.
Rustam Zarifulin, qui avait 26 ans, était né au Kirghizstan, mais s'était engagé dans l'armée russe après avoir quitté l'école. Il est mort en Ukraine le 14 mars.
- "Défendre la Russie" -
Les autorités de Kara-Balta se sont jointes à des représentants de l'ambassade de Russie à l'enterrement du militaire de carrière où un imam a dirigé la prière autour du cercueil, tandis que des vaches flânaient insouciantes dans les ruelles de la ville.
Un attaché de l'ambassade russe a déclaré que le défunt avait obtenu une médaille pour sa bravoure.
Alors que des aboiements et des sanglots ponctuaient le silence, des fonctionnaires locaux ont demandé aux habitants assistant à la cérémonie de ne pas parler à la presse.
Deux jours plus tôt, un autre homme né au Kirghizstan et tué en Ukraine en se battant pour la Russie, Egemberdi Dorboyev, avait été enterré dans sa région natale d'Yssyk-Köl (est).
Selon les médias kirghiz, le jeune homme de 19 ans avait été appelé sous les drapeaux à l'automne.
Les témoignages se multiplient sur des cas de conscripts combattant et tués en Ukraine - un problème épineux pour le gouvernement russe: Dmitri Peskov, le porte-parole du président russe Vladimir Poutine, a affirmé courant mars que son patron avait demandé à l'état-major d'"exclure catégoriquement" les conscrits du conflit et qu'il "punira" les responsables qui en enverront là-bas.
Des habitants de Kara-Balta qui ont parlé à l'AFP ont narré le rêve de toujours de Rustam Zarifulin de combattre pour l'armée russe.
"Il disait qu'il voulait défendre la Russie", a déclaré Nadezhda Ladozhinskaya, une femme de 61 ans disant diriger une organisation représentant ses compatriotes russes.
- "Un vrai guerrier" -
"Kara-Balta a perdu l'un de ses meilleurs hommes". Timofei Karpenko, 52 ans, raconte que sa famille avait l'habitude de plaisanter sur le fait que sa fille allait épouser Rustam Zarifulin, qu'il connaissait depuis son plus jeune âge.
"Quand vous étiez près de lui, il vous donnait envie de vous tenir droit. Un vrai homme. Un vrai guerrier", a déclaré M. Karpenko en larmes.
"Je ne sais pas qui est coupable", a ajouté M. Karpenko à propos de la guerre en Ukraine, qui selon les Nations unies a déjà poussé 3,8 millions de personnes à quitter le pays.
"Certains disent que Poutine l'a déclenchée, d'autres disent...", lance-t-il sans finir sa phrase. "Mais Dieu voit tout et il rendra son jugement".
Plutôt que la fille de M. Karpenko, le rôle de la fiancée endeuillée a échu à une jeune fille brune qui s'est tenue au côté de la mère désemparée pendant toute la cérémonie.
"Tu attendais un mariage", a lancé la vieille femme à la jeune. "Mais tu te retrouves au bord de sa tombe".
G.Dominguez--TFWP